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Les Français réclament une Histoire épique et identitaire sans leçon de morale

« Les chiffres de vente des journaux et des ouvrages de la bien-pensance ne cessent de décliner », se félicite Jean Sévillia, rédacteur en chef adjoint du Figaro Magazine, dans ses Ecrits historiques de combat (Perrin), célébrant au contraire les succès de librairie remportés par les essais cultivant une vision politique et nationale de l’histoire.
Le voisinage de son livre, en cette rentrée, avec La Désintégration française. Pourquoi notre pays renie son histoire et nos enfants perdent leurs repères, de Dimitri Casali (JC Lattès), ancien professeur d’histoire-géographie, et La Compagnie des ombres. A quoi sert l’histoire, de Michel De Jaeghere (Les Belles Lettres), directeur de la rédaction du ­Figaro Histoire, incite l’historien de métier à prendre au sérieux cette production qu’il laisse d’ordinaire de côté parce que ces textes, marqués du sceau de la droite dure, sont des travaux de troisième main.
Michel De Jaeghere propose une série de courtes évocations qui s’achèvent par des leçons de morale, sur le modèle de l’histoire « maîtresse de vie » hérité de Cicéron. Les pharaons et Rome illustrent la vanité des grandeurs humaines. Le propos se teinte parfois d’esthétisme, qu’il s’agisse des guerres d’Italie, « l’une des plus belles pages de notre histoire », ou de « la grandeur et la beauté de Versailles ». Les chapitres sur Dien Bien Phu ou Jean Paul II expriment la fascination pour les souffrances des hommes et leur héroïsme.
Jean Sévillia propose, pour sa part, un manuel de contre-histoire qui relève de l’édification historiographique, montrant la face sombre des Lumières ou de la Révolution et mettant en valeur le Moyen Age chrétien ou la monarchie moderne. Dimitri Casali, enfin, défend une version ouvertement politique de l’usage de l’histoire qui est l’« arme » d’une reconstruction nationale et républicaine devant célébrer « le passé glorieux » dont il déplore l’oubli.

« Tribunal de l’Histoire »

Ces livres rappellent que différents styles historiographiques anciens – l’exemplification morale, le divertissement esthétique, l’instrumentalisation politique – continuent à être en usage, parallèlement aux pratiques de l’histoire scientifique telle qu’elle s’est définie entre la fin du XIXe siècle et les années 1930.
Malgré cette diversité stylistique, les auteurs en question ont un point commun. Leur histoire est événementielle, jalonnée de grands hommes et de moments forts qui sont autant de terrains d’affrontement avec ceux des historiens de gauche qui partagent leur focalisation pour le politique et sa mémoire. Les croisades, les rois, l’Empire, la Résistance, la guerre d’Algérie sont les passages obligés d’un récit dont la logique a deux ressorts.
Le goût épique, tout d’abord, manifestant la fonction imaginaire d’une histoire qui s’adresse plus à l’âme qu’à la raison. Utiliser Saint Louis et Napoléon à cette fin n’est finalement pas très différent de lire l’Iliade ou Le Seigneur des anneaux. La passion du jugement de valeur, ensuite, qu’on retrouve également chez certains historiens qu’ils combattent. C’est le même « Tribunal de l’Histoire » qui condamne la monarchie ou la Révolution, la colonisation ou la Commune : seuls les juges changent.
Or, l’histoire, au sens scientifique du terme, n’est pas un procès. Elle ne relève pas non plus de la politique, de l’esthétique ou de la morale, mais des sciences sociales. Elle se caractérise par des méthodes et des procédures appliquées à des sources, par des hypothèses, des interprétations et leur discussion dans une communauté et des institutions savantes, enfin, surtout, par un horizon : comprendre et expliquer les sociétés humaines dans le temps et l’espace, à travers des travaux érudits, mais aussi des livres, des magazines, des expositions et des émissions destinées au grand public.
Cette histoire n’est pas partisane, ne donne pas de leçons et, pourtant, n’est pas neutre. Elle représente un point de vue, celui de la science, et accomplit une tâche liée au projet démocratique, celle d’essayer d’élucider le monde. Même si elle n’est pas étanche à la société qui l’entoure, à ses conflits et à ses valeurs, son projet intellectuel vise du moins à tenter de les mettre à distance pour construire un savoir autonome.
Cette ambition scientifique, qui n’est pas toujours mise en œuvre au sein même de l’Université, mais à laquelle des historiens amateurs, des enseignants ou des lecteurs peuvent apporter leur pierre, est très différente de celle qui anime les auteurs de ces livres.
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Le Monde


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