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Les Émirats Arabes Unis, pays de l’islamo-beaufisme

Ceci est un diptyque, consacré aux Émirats arabes unis, par quelqu’un qui y a vécu. Entre État faucon et islamo-beaufisme, retrouvez le portrait contrasté d’un petit pays au gros portefeuille. 

Il est rarement permis d’observer, dans l’intervalle d’une vie humaine, avec quelle prodigieuse vigueur un État peut passer du chaos, de la misère ou simplement de l’apathie, à une richesse forçant l’admiration du reste du monde, à une sorte d’état de grâce que ne renieraient pas aujourd’hui les puissances déchues d’Europe occidentale. L’Espagne eut son siècle d’or il y a cinq cents ans ; la France connut la gloire au XVIIe siècle ; le XIXe fut pour le Royaume-Uni une ère bénie.

Il ne s’agira pas ici de comparer dans l’histoire ce qu’un pays aussi anecdotique sur la scène internationale que les Émirats arabes unis est en train d’accomplir au XXIe siècle à la puissance militaire, culturelle et esthétique des nations européenne. Il ne sera pas plus question d’une quelconque iconolâtrie des attributs et des ressorts de la réussite émirienne actuelle, ni encore de désirer la transposition en France de ce modèle unique au monde ; mais l’auteur s’évertuera à dresser le portrait d’un pays méconnu, tantôt fantasmé, tantôt honni…

Chakhbut bin Sultan al Nahyan, l’âne bâté

Un constat s’impose : entre 1971, date de leur indépendance, et aujourd’hui, les Émirats arabes unis sont passés du Moyen Âge le plus misérable à la prospérité la plus brillante. Il est possible d’affirmer qu’aucun autre État de la Terre, à aucun moment de son histoire, quelque glorieuse qu’elle fût, n’a réussi à se développer à ce point en si peu de temps.

Les Émirats arabes unis ne sont pas le Qatar, qui a refusé de rejoindre la fédération en 1971, et encore moins l’Arabie Saoudite, indépendante depuis 1932. D’une superficie identique à celle de l’Autriche, ils sont coincés entre la monarchie saoudite et le sultanat d’Oman, contrée musulmane modérée et pacifique dont l’actuel sultan appartient en ligne directe à une dynastie fondée au milieu du XVIIIe siècle. Abu Dhabi est la capitale politique des Émirats ; Dubai en est la vitrine étincelante. Abu Dhabi et Dubai sont à la fois villes et émirats, comme le reste de la fédération qui comprend cinq autres entités de taille chétive et d’importance négligeable : Sharjah, Ajman, Ras al Khaimah, Umm al Quwain et Fujairah. Ainsi, deux villes se sont imposées comme les leviers de la puissance émirienne : Abu Dhabi et Dubai, cités-États dans le sillage des Athènes, Carthage, Rome, Venise… Dubai a frontalement subi en 2008 la crise économique. Obligée de réclamer de l’aide à Abu Dhabi, dont les revenus du pétrole sont intarissables, la ville s’est vue imposer deux conditions à la suppression de ses dizaines de milliards de dollars de dettes : d’une part, l’abandon formel de ses velléités tacites d’indépendance et, d’autre part, le changement du nom de la plus haute tour du monde alors en construction de Burj Dubai en Burj Khalifa – « tour de Khalifa », du nom de l’émir d’Abu Dhabi, afin d’affirmer l’autorité de cette dernière sur Dubai.

En 1971, le Royaume-Uni se retire de la côte méridionale du Golfe arabo-persique. Ils y avaient fondé cent cinquante ans plus tôt les États de la Trêve, en référence au traité qui mit fin à la piraterie exercée par les émirs d’alors contre les navires anglais. Les États de la Trêve vivent du commerce de la perle, travail harassant, peu lucratif, et soumis à la concurrence de la perle de culture japonaise au XXe siècle. Il faut considérer ce qu’est ce bout de terre au moment du départ des Anglais : une interminable étendue de désert, sans routes, sans électricité, sans eau potable, sans moyens de communication, peuplée de Bédouins qui se déplacent à dos de dromadaire, Bédouins dont le mode de vie n’a aucunement changé depuis le début de l’ère musulmane au VIIe siècle.

La famille la plus puissante est celle qui contrôle Abu Dhabi, la famille Al Nahyan. L’émir d’Abu Dhabi, cheikh Chakhbut bin Sultan al Nahyan, est un âne bâté. Face à l’essor dans les années 1960 de la production de pétrole, encore contrôlée par les Anglais, il ne comprend pas les enjeux que représente cette manne souterraine. Loin d’encourager le développement de ses terres, il l’entrave ; la perspective d’un afflux de liquidités l’incline à penser que la prospérité dévoierait les traditions bédouines. Incompétent et incapable, effrayé par la modernité, il préfère amasser des liasses de billet dans ses chambres plutôt que de créer des établissements bancaires pour thésauriser ses revenus. C’est alors qu’apparaît l’homme qui va changer le destin de ce peuple sans conscience nationale, sans lois, sans administration, et dont le désert constituait l’horizon indépassable : en 1966, Chakhbut est victime d’une révolution de palais qui le contraint à s’exiler en Suisse, et le prie d’y demeurer. Le pouvoir revient à son frère, cheikh Zayed bin Sultan al Nahyan.

La suite en deux parties : Les Émirats, du désert à la civilisation (1/2) et Les Émirats, spirituelleries de l’islamo-beaufisme (2/2) sur lacamisole.fr

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